Un hongrois crée un savoir-faire qu’il transfère en 2008, pour des raisons successorales, à une fondation localisée au Liechtenstein. Commercialement son savoir-faire est exploité par une société dont il est l’actionnaire-gérant.
Un mois plus tard, la Fondation liechtensteinoise octroie une licence d’exploitation à une société portugaise LG, de Madère, détenue par un ressortissant français, connu pour ses talents dans les services sur l’Internet.
Quelques mois plus tard, une autre société portugaise HP, également détenue par le ressortissant français, achète le savoir-faire à la Fondation liechtensteinoise et, un an plus tard, ce savoir-faire est vendu par HP à une troisième société portugaise WM qui poursuit la licence d’exploitation accordée à LG.
WM, dans le cadre du rachat à HP, s’est engagé à poursuivre le développement et la mise à jour du savoir-faire envers les clients de LG. Ces derniers, pour bénéficier des services liés à l’exploitation du savoir-faire, achètent par carte des crédits sur les deux sites web exploités par LG.
Les prestations sur les sites web sont assurées par des personnes liées avec LE, établie au Seychelles.
Fort de sa liste des clients, de sa base de données et du contrat de licence lié à l’exploitation du savoir-faire, LG revend ses droits et actifs à une société luxembourgeoise LU.
En 2013, l’administration fiscale hongroise effectue un contrôle portant sur les années 2009 à 2011 et elle conclut que le résident hongrois qui a conçu le savoir-faire n’avait pas effectivement transféré le droit d’exploitation du savoir-faire à LG et qu’il prenait toutes les décisions nécessaires à l’accroissement du chiffre d’affaires généré par les sites Internet, de sorte qu’il devait être considéré que l’exploitation avait en réalité lieu en Hongrie. Un redressement de 33.796.809,05 EUR d’impôts, dont 32.858.582,24 EUR de TVA ainsi qu’une amende de 25.347.605,99 EUR et des pénalités de retard de 9.529.497,91 EUR lui sont réclamés, alors que la TVA (16% à Madère à l’époque) et les impôts ont été payés au Portugal, certes à des taux plus faibles qu’en Hongrie (TVA de 27%).
Afin de parvenir à cette démonstration du caractère prépondérant du résident hongrois dans la gestion des sites et aboutir à la procédure fiscale, une procédure pénale avait été diligentée par le service d’enquête pénale de l’administration nationale des impôts et des douanes hongroises. Dans le cadre de cette procédure, l’autorité d’enquête avait, avec l’autorisation d’un juge d’instruction, procédé à la mise sous écoute des conversations téléphoniques de plusieurs personnes, dont celles de le résident hongrois, le conseiller juridique de WM, de son comptable et du propriétaire de LG ; ainsi qu’à la saisie et à la sauvegarde de 71 courriers électroniques de WM et ce sans autorisation judiciaire, comme l’ont indiqué lors de l’audience l’administration fiscale de premier degré et le gouvernement hongrois.
Existe-t-il un abus à des fins fiscales ?
La constitution d’une société à l’étranger n’est pas interdite, même incitée dans le cadre de la liberté de prestation et d’établissement. Elle correspond à une réalité économique, ce qui exclut l’existence d’un abus, lorsqu’elle implique une implantation réelle ayant pour objet l’accomplissement d’activités économiques effectives dans l’État membre d’accueil. La vérification de la réalité de la poursuite d’une activité économique doit reposer sur des éléments objectifs et vérifiables par des tiers, relatifs, notamment, au degré d’existence physique de la société en cause en termes de locaux, de personnel et d’équipements. Afin de vérifier qu’une société ne soit pas une «écran» ou «boîte aux lettres», les autorités fiscales d’un Etat membre doivent faire usage de l’article 7 du règlement n° 904/2010 afin d’obtenir des autorités fiscales de l’autre Etat membre les informations nécessaires pour trancher ce point de la réalité de l’activité économique.
Le gouvernement portugais n’a pas été sollicité sur ce point et il a confirmé que LG s’est conformée, au Portugal, à ses obligations en matière de TVA et la localisation des opérations en fonction de la qualité des clients a été correctement appliquée par LG.
Le fait, pour une société comme WM, de choisir d’utiliser les services d’une société indépendante comme LG qui est établie dans un État membre où les taux d’imposition à la TVA sont moins élevés ne saurait constituer en soi un usage abusif de la libre prestation de services consacrée par l’article 56 TFUE. Les opérateurs économiques peuvent exercer leurs libertés fondamentales de la façon qui leur permet de minimiser leur charge fiscale, pour autant qu’il y a un exercice véritable de la liberté en cause, c’est-à-dire une livraison de biens, une prestation de service, un mouvement de capitaux ou un établissement en vue d’exercer réellement une activité économique ou commerciale. La Cour de justice a jugé, à plusieurs reprises, que les assujettis sont généralement libres de choisir les structures organisationnelles et les modalités transactionnelles qu’ils estiment les plus appropriées pour leurs activités économiques et aux fins de limiter leurs charges fiscales (C-103/09 Weal Leasing).
Pour déterminer l’existence d’un abus fiscal, il convient seulement d’analyser l’ensemble des circonstances de faits pour déterminer si le contrat de licence constituait un montage purement artificiel dissimulant le fait que la prestation de services en cause n’était pas réellement fournie par la société LG, preneuse de la licence, mais l’était en fait par la société ou la personne donneuse de la licence. Cette preuve doit être recherchée notamment au regard de l’implantation réelle et non fictive du siège de l’activité économique ou de l’établissement stable de la société preneuse de licence. Cette société, aux fins de l’exercice de l’activité économique concernée, possédait-elle une structure appropriée en termes de locaux, de moyens humains et techniques, ou encore exerçait-elle cette activité économique pour son propre nom et pour son propre compte, sous sa propre responsabilité et à ses propres risques ? Voici les seuls éléments pertinents pour répondre à la question d’un éventuel abus fiscal.
Abus fiscal et double imposition
Il existe un risque de double imposition étant donné que toutes les taxes ont été payées au Portugal. Tant que le droit de l’Union n’imposera pas aux administrations fiscales des États membres une obligation de reconnaissance mutuelle de leurs décisions respectives, ce risque existera.
En cas d’abus fiscal, le risque de double imposition oblige les autorités fiscales d’un État membre, avant de requalifier le lieu de prestation d’un service et de considérer qu’elle a été effectuée sur son territoire aux fins de percevoir les taxes, à adresser une demande de renseignements aux administrations fiscales de ces autres États membres, sous le règlement (UE) n° 904/2010, lorsqu’une telle demande est utile, voire indispensable, pour déterminer que la TVA est exigible dans le premier État membre.
Utilisation de données du dossier pénal et respect du droit à la vie privée
La notion de vie privée doit être interprétée comme incluant les activités professionnelles ou commerciales des personnes morales. Il est donc essentiel d’apprécier si la collecte de preuves au cours d’une procédure pénale parallèle à la procédure de redressement TVA par l’interception de conversations téléphoniques, ainsi que par la saisie et la sauvegarde de courriers électroniques, est conforme aux articles 7 et 8 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Une réponse positive à cette appréciation ne peut être retenue par une juridiction que sous trois conditions : les moyens d’investigation sont prévus par la loi ; la procédure diligentée poursuit un but légitime et elle est proportionnée. Bien entendu, l’assujetti doit avoir eu la possibilité, dans le cadre de la procédure administrative, d’avoir accès à ces preuves et d’être entendu sur celles-ci. A défaut les preuves obtenues sont déclarées nulles et doivent être écartées.
Conclusion
La conclusion d’un contrat de licence ne peut être considérée comme abusive au regard de la directive TVA 2006/112/CE que si son but essentiel est l’obtention d’un avantage fiscal dont l’octroi serait contraire à l’objectif poursuivi par les dispositions de la directive.
En soi, choisir un autre Etat membre où les taxes sont plus favorables n’est pas interdit tant que cette implantation est matérialisée par une substance cohérente en termes de locaux, de moyens administratifs, humains et techniques.
A défaut, le risque de double imposition en TVA est réel et difficile à combattre efficacement.
Jean Pierre RIQUET
Juriste Fiscaliste TVA
CJUE, C-419/14, WebMindLicenses, 17 décembre 2015