Créée il y a seulement dix-huit mois, la Brigade nationale
de répression de la délinquance fiscale a déjà traité une cinquantaine
d'affaires. Ecoutes, filatures, perquisitions... elle dispose de moyens sans précédent
pour traquer les grands fraudeurs.
Six heures du matin. Un immeuble cossu de l'avenue George-V
à Paris. Cinq policiers en uniforme, gilet pare-balles et armes au ceinturon
sonnent et se présentent à un homme qui ne s'attendait visiblement pas à être
réveillé si tôt et par un tel équipage. Le commissaire qui dirige l'opération
annonce la couleur : « Bonjour monsieur, brigade nationale de répression de la
délinquance fiscale... » « C'est pour mes comptes en Suisse ? » s'enquiert
encore endormi le propriétaire de l'appartement... « Parce que vous avez des
comptes en suisse ? », répond, goguenard, le policier... « Non, non... »,
corrige son interlocuteur, maintenant bien réveillé, en se précipitant pour
téléphoner à son avocat... Pendant ce temps-là, les policiers perquisitionnent
l'appartement et saisissent montres, bijoux et divers objets de valeur. Le
monsieur passera, lui, quarante-huit heures en garde à vue dans les locaux de
la police judiciaire à Nanterre.
« Nous bénéficions encore de l'effet de surprise »,
reconnaît aujourd'hui Guillaume Hézard, qui dirigeait l‘opération et s'étonne
encore du relatif sentiment d'impunité observé chez certains de ces « clients »
d'un nouveau style. Ce commissaire a pris il y a dix-huit mois les rênes de la
nouvelle Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) :
une escouade de 21 agents (8 officiers de police judiciaire ayant suivi une
formation fiscale et 13 inspecteurs des impôts préparés pendant trois mois à
l'Ecole nationale supérieure de la police nationale pour devenir officiers
fiscaux judiciaires). « Il faut bien l'avouer, tout un pan de l'évasion fiscale
nous échappait », explique Frédéric Long, adjoint de Guillaume Hézard et
administrateur des finances publiques.
Dans la ligne de mire de cette nouvelle police fiscale, les
grands fraudeurs et les infractions dites complexes : utilisation de paradis
fiscaux, montages compliqués, usage de faux...
Les 3.000 de la liste HSBC
La brigade a commencé par éplucher les cas des plus «
récalcitrants » figurant sur la liste des « 3.000 » de la banque HSBC.
L'affaire UBS, aujourd'hui à l'instruction pour « blanchiment de fraude fiscale
», pourrait bien aussi être regardée de près par la police fiscale. « On ne
s'arrête pas sous prétexte que c'est une banque », prévient Guillaume Hézard,
qui ajoute en retrouvant ses réflexes déductifs d'officier de police judiciaire
« lorsqu'un établissement bancaire prête d'énormes sommes en France, c'est
qu'il y a, en contrepartie, un compte bien garni quelque part... ».
La BNRDF participe aussi aux investigations sur les fils du
collectionneur Daniel Wildenstein, soupçonnés par la veuve du marchand d'art
d'évasion fiscale massive, notamment via des trusts situés dans des paradis
fiscaux. Un client de choix pour cette nouvelle police fiscale.
A l'heure actuelle, les deux tiers des dossiers concernent
des personnes qui ne déclarent pas leurs comptes bancaires ou leurs avoirs à
l'étranger. La plupart sont cachés au sein de montages complexes. Le premier
procès devrait avoir lieu à la rentrée. Il concerne un compte HSBC.
Pour traquer ces grands fraudeurs, la police fiscale a ses
propres méthodes... « Il s'agit d'arriver à un résultat que nous n'obtenions
que très difficilement avec le Code général des impôts et le Livre des procédures
fiscales », explique Frédéric Long. Les procédures de vérifications fiscales «
classiques » ne permettent pas, en effet, d'investigations poussées. Le
contribuable est, dans ces procédures, systématiquement avisé des recherches
faites sur son compte et les personnes ou établissements qui participent
éventuellement à l'évasion ne peuvent pas être mis en cause ou interrogés. «
C'est simple, sur les très gros fraudeurs, nous étions en échec. Les paradis
fiscaux ne nous répondaient pas et le contribuable non plus. Nous étions dans
un angle mort », reconnaît un haut fonctionnaire de Bercy.
Pour aller enquêter dans ces « angles morts », la nouvelle
brigade dispose de tous les pouvoirs de la police judiciaire : écoutes,
filatures, garde à vue, commissions rogatoires, perquisitions... Elle ne peut
pas en revanche s'autosaisir. C'est la Direction générale des finances
publiques (DGFIP) qui lui transmet les dossiers de « présomptions caractérisées
» de fraudes commises dans des paradis fiscaux. Le point de départ est toujours
l'usage d'un compte dans un « territoire non coopératif » ou l'usage de faux,
précise le Code pénal. « L'usage d'un compte à l'étranger n'est pas en soi
illégal, c'est de ne pas le déclarer qui l'est », tient-on à préciser du côté
de Bercy.
Des clients aisés, voire très aisés
Dans le détail, les fonctionnaires des impôts soumettent le
dossier sur lequel ils ont de forts soupçons de fraudes massives à la
commission des infractions fiscales (CIF, composée de magistrats du Conseil
d'Etat et de la Cour des comptes). Sur 59 affaires transmises, la CIF a rendu
55 avis favorables à l'engagement des poursuites. La plainte est ensuite
transmise au procureur de la République, qui saisit la BNRDF. Pendant ce
temps-là, le contribuable n'est pas averti, ni ses éventuels complices. Une
fois saisie, l'affaire est confiée à un ou deux agents - généralement un OPJ et
un OFJ -, qui vont constituer le dossier en croisant les fichiers de police,
des impôts...
« Nos clients ont un profil commun, ils sont aisés, voire
très aisés, avec des moyens considérables, mais la situation qu'ils déclarent
est souvent très pâle par rapport à la réalité. Notre travail est de rattraper
cette réalité », explique Guillaume Hézard. « On a aussi beaucoup d'histoires
de famille, d'avoirs cachés de génération en génération... », ajoute Frédéric
Long. Des fraudeurs aux moyens très importants, effectivement : les affaires
confiées à la brigade portent, en moyenne, sur des montants de droits fraudés
proches de 1 million d'euros.
L'objectif est, à terme, d'aboutir à des redressements et à
des procès en correctionnelle. Pour être certaine de récupérer les fonds et
éviter qu'ils ne partent dans d'autres paradis fiscaux, la brigade saisit
systématiquement les objets de valeur, les avoirs, assurance-vie... Et confie
les fonds à l'Agrasc (Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et
confisqués, placée sous la tutelle conjointe de Bercy et du ministère de la
Justice) en attendant une confiscation définitive par le juge pénal. « Quand on
est capable d'avoir mis en place des dispositifs aussi sophistiqués d'évasion
fiscale, on est capable d'organiser son insolvabilité », remarque Frédéric
Long.
Personne n'est à l'abri des investigations de cette police
fiscale. « On ratisse large », prévient un homme de la brigade. Avocats,
experts-comptables, notaires, conseils en tout genre des éventuels fraudeurs
sont surveillés et, parfois, mis en cause. « On va un peu perturber leur
tranquillité », s'amuse un policier. Dans une affaire récente, la brigade est
ainsi intervenue directement dans le bureau d'un notaire et a saisi un chèque
de plusieurs millions d'euros au moment où l'officier ministériel le remettait
à son client, soupçonné de fraude fiscale. Tous deux ont fini en garde à vue et
risquent de se retrouver devant le tribunal. Autre affaire, un avocat qui avait
mis des honoraires sur un compte non déclaré en Suisse a, lui aussi, été
inquiété. « On va toujours plus loin que ce qu'on imaginait, avec la mise en
cause de 2 ou 3 complices », constate un enquêteur.
Aujourd'hui, plusieurs personnes sont mises en examen pour
blanchiment, abus de biens sociaux, abus de confiance, faux, organisation
frauduleuse d'insolvabilité, corruption et, bien sûr, fraude fiscale. Et, pour
les contribuables concernés, la note risque d'être salée... Le nouvel article
1741 du Code général des impôts punit d'une peine pouvant aller jusqu'à sept
ans d'emprisonnement et 1 million d'euros d'amende les fraudeurs, qui devront
aussi rembourser au Trésor les sommes qu'ils ont détournées.
La riposte des fraudeurs
Mais « les contribuables se battent énormément sur le plan
judiciaire », constate-t-on à Bercy. Le 31 janvier dernier, la Cour de
cassation a annulé la procédure fiscale engagée à l'encontre d'un des « 3.000 »
de la liste HSBC. Motif ? A l'origine, les fichiers ont été volés par un ancien
salarié de la banque. Or, en droit, la preuve illicite (provenant d'un vol par
exemple) ne peut être admise. A une exception près : si elle sert à prouver une
infraction pénale. Ainsi, le jour même où la chambre commerciale de la Cour de
cassation rendait cet arrêt, la chambre criminelle de la Haute Cour rendait une
décision en sens inverse dans l'affaire Bettencourt, en admettant les
enregistrements illicites du majordome de l'héritière de L'Oréal. Conclusion :
« Nous sommes assez sereins, nos procédures sont des procédures pénales et non
commerciales », veut croire Guillaume Hézard. Reste que certains des mis en
cause ont d'ores et déjà porté leur dossier devant la chambre de l'instruction
pour demander la nullité de la procédure.
Les experts de la lutte contre la fraude fiscale regrettent,
aussi, un mode « trop restrictif » de saisine de la brigade fiscale. La police
fiscale ne dispose pas, en effet, de pouvoir d'initiative sur ces enquêtes, et
les fraudes dont elle est saisie sont obligatoirement des fraudes trouvant leur
origine dans des paradis fiscaux. Laissant ainsi d'autres types de fraudes,
comme les carrousels de TVA ou les escroqueries à la taxe carbone à d'autres
enquêteurs. Dernièrement, les douanes judiciaires viennent de mettre la main
sur une énorme fraude à la taxe carbone pour plus de 1,5 milliard d'euros de
préjudice. Les experts pointent le manque de cohérence et de coordination entre
les différents services de lutte contre la grande fraude fiscale. Une nouvelle
guerre des polices judiciaires en perspective ?
Valérie de Senneville Les Echos 19/05/2012
La BNRDF en chiffres
Depuis ses débuts, en novembre 2010, la Brigade nationale de
répression de la délinquance fiscale a reçu 77 plaintes et a traité 55
affaires, dont 7 sont d'ores et déjà terminées.
Plus de 17 millions d'euros ont été saisis.
69 gardes à vue ont été effectuées et 73 personnes mises en
cause, pour près d'une centaine de perquisitions.