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lundi 21 mai 2012

Comment travaille la nouvelle police du fisc français



Créée il y a seulement dix-huit mois, la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale a déjà traité une cinquantaine d'affaires. Ecoutes, filatures, perquisitions... elle dispose de moyens sans précédent pour traquer les grands fraudeurs.
Six heures du matin. Un immeuble cossu de l'avenue George-V à Paris. Cinq policiers en uniforme, gilet pare-balles et armes au ceinturon sonnent et se présentent à un homme qui ne s'attendait visiblement pas à être réveillé si tôt et par un tel équipage. Le commissaire qui dirige l'opération annonce la couleur : « Bonjour monsieur, brigade nationale de répression de la délinquance fiscale... » « C'est pour mes comptes en Suisse ? » s'enquiert encore endormi le propriétaire de l'appartement... « Parce que vous avez des comptes en suisse ? », répond, goguenard, le policier... « Non, non... », corrige son interlocuteur, maintenant bien réveillé, en se précipitant pour téléphoner à son avocat... Pendant ce temps-là, les policiers perquisitionnent l'appartement et saisissent montres, bijoux et divers objets de valeur. Le monsieur passera, lui, quarante-huit heures en garde à vue dans les locaux de la police judiciaire à Nanterre.
« Nous bénéficions encore de l'effet de surprise », reconnaît aujourd'hui Guillaume Hézard, qui dirigeait l‘opération et s'étonne encore du relatif sentiment d'impunité observé chez certains de ces « clients » d'un nouveau style. Ce commissaire a pris il y a dix-huit mois les rênes de la nouvelle Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) : une escouade de 21 agents (8 officiers de police judiciaire ayant suivi une formation fiscale et 13 inspecteurs des impôts préparés pendant trois mois à l'Ecole nationale supérieure de la police nationale pour devenir officiers fiscaux judiciaires). « Il faut bien l'avouer, tout un pan de l'évasion fiscale nous échappait », explique Frédéric Long, adjoint de Guillaume Hézard et administrateur des finances publiques.
Dans la ligne de mire de cette nouvelle police fiscale, les grands fraudeurs et les infractions dites complexes : utilisation de paradis fiscaux, montages compliqués, usage de faux...

Les 3.000 de la liste HSBC

La brigade a commencé par éplucher les cas des plus « récalcitrants » figurant sur la liste des « 3.000 » de la banque HSBC. L'affaire UBS, aujourd'hui à l'instruction pour « blanchiment de fraude fiscale », pourrait bien aussi être regardée de près par la police fiscale. « On ne s'arrête pas sous prétexte que c'est une banque », prévient Guillaume Hézard, qui ajoute en retrouvant ses réflexes déductifs d'officier de police judiciaire « lorsqu'un établissement bancaire prête d'énormes sommes en France, c'est qu'il y a, en contrepartie, un compte bien garni quelque part... ».
La BNRDF participe aussi aux investigations sur les fils du collectionneur Daniel Wildenstein, soupçonnés par la veuve du marchand d'art d'évasion fiscale massive, notamment via des trusts situés dans des paradis fiscaux. Un client de choix pour cette nouvelle police fiscale.
A l'heure actuelle, les deux tiers des dossiers concernent des personnes qui ne déclarent pas leurs comptes bancaires ou leurs avoirs à l'étranger. La plupart sont cachés au sein de montages complexes. Le premier procès devrait avoir lieu à la rentrée. Il concerne un compte HSBC.
Pour traquer ces grands fraudeurs, la police fiscale a ses propres méthodes... « Il s'agit d'arriver à un résultat que nous n'obtenions que très difficilement avec le Code général des impôts et le Livre des procédures fiscales », explique Frédéric Long. Les procédures de vérifications fiscales « classiques » ne permettent pas, en effet, d'investigations poussées. Le contribuable est, dans ces procédures, systématiquement avisé des recherches faites sur son compte et les personnes ou établissements qui participent éventuellement à l'évasion ne peuvent pas être mis en cause ou interrogés. « C'est simple, sur les très gros fraudeurs, nous étions en échec. Les paradis fiscaux ne nous répondaient pas et le contribuable non plus. Nous étions dans un angle mort », reconnaît un haut fonctionnaire de Bercy.
Pour aller enquêter dans ces « angles morts », la nouvelle brigade dispose de tous les pouvoirs de la police judiciaire : écoutes, filatures, garde à vue, commissions rogatoires, perquisitions... Elle ne peut pas en revanche s'autosaisir. C'est la Direction générale des finances publiques (DGFIP) qui lui transmet les dossiers de « présomptions caractérisées » de fraudes commises dans des paradis fiscaux. Le point de départ est toujours l'usage d'un compte dans un « territoire non coopératif » ou l'usage de faux, précise le Code pénal. « L'usage d'un compte à l'étranger n'est pas en soi illégal, c'est de ne pas le déclarer qui l'est », tient-on à préciser du côté de Bercy.

Des clients aisés, voire très aisés

Dans le détail, les fonctionnaires des impôts soumettent le dossier sur lequel ils ont de forts soupçons de fraudes massives à la commission des infractions fiscales (CIF, composée de magistrats du Conseil d'Etat et de la Cour des comptes). Sur 59 affaires transmises, la CIF a rendu 55 avis favorables à l'engagement des poursuites. La plainte est ensuite transmise au procureur de la République, qui saisit la BNRDF. Pendant ce temps-là, le contribuable n'est pas averti, ni ses éventuels complices. Une fois saisie, l'affaire est confiée à un ou deux agents - généralement un OPJ et un OFJ -, qui vont constituer le dossier en croisant les fichiers de police, des impôts...
« Nos clients ont un profil commun, ils sont aisés, voire très aisés, avec des moyens considérables, mais la situation qu'ils déclarent est souvent très pâle par rapport à la réalité. Notre travail est de rattraper cette réalité », explique Guillaume Hézard. « On a aussi beaucoup d'histoires de famille, d'avoirs cachés de génération en génération... », ajoute Frédéric Long. Des fraudeurs aux moyens très importants, effectivement : les affaires confiées à la brigade portent, en moyenne, sur des montants de droits fraudés proches de 1 million d'euros.
L'objectif est, à terme, d'aboutir à des redressements et à des procès en correctionnelle. Pour être certaine de récupérer les fonds et éviter qu'ils ne partent dans d'autres paradis fiscaux, la brigade saisit systématiquement les objets de valeur, les avoirs, assurance-vie... Et confie les fonds à l'Agrasc (Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, placée sous la tutelle conjointe de Bercy et du ministère de la Justice) en attendant une confiscation définitive par le juge pénal. « Quand on est capable d'avoir mis en place des dispositifs aussi sophistiqués d'évasion fiscale, on est capable d'organiser son insolvabilité », remarque Frédéric Long.
Personne n'est à l'abri des investigations de cette police fiscale. « On ratisse large », prévient un homme de la brigade. Avocats, experts-comptables, notaires, conseils en tout genre des éventuels fraudeurs sont surveillés et, parfois, mis en cause. « On va un peu perturber leur tranquillité », s'amuse un policier. Dans une affaire récente, la brigade est ainsi intervenue directement dans le bureau d'un notaire et a saisi un chèque de plusieurs millions d'euros au moment où l'officier ministériel le remettait à son client, soupçonné de fraude fiscale. Tous deux ont fini en garde à vue et risquent de se retrouver devant le tribunal. Autre affaire, un avocat qui avait mis des honoraires sur un compte non déclaré en Suisse a, lui aussi, été inquiété. « On va toujours plus loin que ce qu'on imaginait, avec la mise en cause de 2 ou 3 complices », constate un enquêteur.
Aujourd'hui, plusieurs personnes sont mises en examen pour blanchiment, abus de biens sociaux, abus de confiance, faux, organisation frauduleuse d'insolvabilité, corruption et, bien sûr, fraude fiscale. Et, pour les contribuables concernés, la note risque d'être salée... Le nouvel article 1741 du Code général des impôts punit d'une peine pouvant aller jusqu'à sept ans d'emprisonnement et 1 million d'euros d'amende les fraudeurs, qui devront aussi rembourser au Trésor les sommes qu'ils ont détournées.

La riposte des fraudeurs

Mais « les contribuables se battent énormément sur le plan judiciaire », constate-t-on à Bercy. Le 31 janvier dernier, la Cour de cassation a annulé la procédure fiscale engagée à l'encontre d'un des « 3.000 » de la liste HSBC. Motif ? A l'origine, les fichiers ont été volés par un ancien salarié de la banque. Or, en droit, la preuve illicite (provenant d'un vol par exemple) ne peut être admise. A une exception près : si elle sert à prouver une infraction pénale. Ainsi, le jour même où la chambre commerciale de la Cour de cassation rendait cet arrêt, la chambre criminelle de la Haute Cour rendait une décision en sens inverse dans l'affaire Bettencourt, en admettant les enregistrements illicites du majordome de l'héritière de L'Oréal. Conclusion : « Nous sommes assez sereins, nos procédures sont des procédures pénales et non commerciales », veut croire Guillaume Hézard. Reste que certains des mis en cause ont d'ores et déjà porté leur dossier devant la chambre de l'instruction pour demander la nullité de la procédure.
Les experts de la lutte contre la fraude fiscale regrettent, aussi, un mode « trop restrictif » de saisine de la brigade fiscale. La police fiscale ne dispose pas, en effet, de pouvoir d'initiative sur ces enquêtes, et les fraudes dont elle est saisie sont obligatoirement des fraudes trouvant leur origine dans des paradis fiscaux. Laissant ainsi d'autres types de fraudes, comme les carrousels de TVA ou les escroqueries à la taxe carbone à d'autres enquêteurs. Dernièrement, les douanes judiciaires viennent de mettre la main sur une énorme fraude à la taxe carbone pour plus de 1,5 milliard d'euros de préjudice. Les experts pointent le manque de cohérence et de coordination entre les différents services de lutte contre la grande fraude fiscale. Une nouvelle guerre des polices judiciaires en perspective ?
Valérie de Senneville Les Echos 19/05/2012

La BNRDF en chiffres

Depuis ses débuts, en novembre 2010, la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale a reçu 77 plaintes et a traité 55 affaires, dont 7 sont d'ores et déjà terminées.
Plus de 17 millions d'euros ont été saisis.
69 gardes à vue ont été effectuées et 73 personnes mises en cause, pour près d'une centaine de perquisitions.